La Promesse des ténèbres (Maxime Chattam)

Ils auraient pu faire un effort pour la couverture.

Résumé : Un journaliste en quête d’un nouveau reportage devient malgré lui l’unique témoin du suicide d’une jeune actrice de X. Embarqué dans les bas-fonds de New York à la poursuite d’une mystérieuse « tribu » de goths grimés en vampires qui saignent et violent des femmes, il décide de mener l’enquête tout seul. Problème : sa femme est officier de police, et il ne tarde pas à découvrir que les films de snuff tournés par les « vampires » ne le laissent pas indifférent…

C’est mon premier Maxime Chattam. Il faut un début à tout ! À Noël, je me suis frottée à Musso, puis j’ai entamé un marathon Dan Simmons. Pour rester dans le thème « auteurs de best-sellers » (de préférence horrifiques), voici un thriller signé Chattam, le plus américain des auteurs français. J’en avais déjà entendu parler et je n’ai pas été déçue : comme tous les bouquins concoctés par des romanciers qui vendent (très) bien, celui-ci se dévore plus qu’il ne se lit. Le manque de consistance des personnages (je ne me souviens même plus du nom du protagoniste alors que j’ai fini le bouquin il y a une heure, c’est pour dire), l’écriture dépouillée et l’abus de de phrases nominales y sont pour beaucoup. De trop nombreuses coquilles, des anglicismes (« insane », « cure »…) et autres partis-pris orthographiques (« crads »), ou encore des dialogues peu crédibles, ont parfois gêné ma lecture, à croire qu’aucun correcteur n’a été embauché pour ce titre. Mais dans l’ensemble, ça se lit vite et bien. Un peu trop vite, d’ailleurs ! Ce livre aurait mérité une bonne injection de liquide nutritif pour le densifier un peu, comme ce que font les usines de traitement chinoises au cabillaud norvégien. L’ajout d’une réflexion sur les SDF qui vivent dans une société à l’envers de la nôtre, et la découverte d’un mystérieux « peuple-taupe », bien qu’intéressantes, tombent souvent hors de propos et flirtent parfois avec la socio de comptoir.

L’homme est un loup pour l’homme… et surtout pour la femme.

L’idée de départ est peu originale, mais efficace. On retrouve l’idée surexploitée depuis le Dalhia Noir de la pauvre provinciale venue du fin fond de l’Ohio qui monte à New York avec ses beaux yeux bleus et cheveux blonds comme seuls bagages, dans le but de faire carrière à Broadway (ce n’est pas LA, car il y a trop de soleil : NY est un décor bien plus goth, et puis, l’auteur connaît bien cette ville). Pas de chance, elle tombe sur un salopard qui l’exploite et profite de sa détresse pour la prostituer à des gens peu recommandables. Dans l’univers impitoyable que nous dépeint l’auteur, les hommes sont tous des prédateurs en puissance, des vampires qui jouissent de dominer les femmes. Tous. Quant aux femmes, elles sont pures et innocentes, et se livrent à la « chose » en fronçant le nez, loin de se douter (les pauvres !) que leur mari se masturbe en cachette devant des pornos gonzos, car il a bien remarqué « qu’elles n’aimaient pas ça » (oui, il s’agit d’une citation). Elles-mêmes n’en regardent jamais, grands dieux ! Même des parias endurcies comme les femmes « taupes », en proie à l’appétit insatiable de leurs congénères mâles, sont prêtes à tout pour une minute d’affection. Ce postulat un rien simpliste et quelque peu zemmourien a été, paradoxalement, ce qui m’a donné envie de lire ce livre, après l’avoir vu critiqué de cette façon sur les réseaux sociaux. Une histoire bien sulfureuse, du crime et des vampires… tous les ingrédients étaient présents pour nous livrer un thriller bien juteux ! Mais je suis déçue et je reste sur ma faim. Les scènes « sulfureuses » ne le sont pas tant que ça. Les vampires n’apparaissent pas assez souvent pour faire vraiment peur, et, au final, on n’apprend pas grand-chose sur eux. Comme souvent avec le livre d’un auteur qui se vend comme le dernier aller simple pour l’Enfer le souffre paraît tiède et peu virulent. En matière de perversions (présentées ici comme le summum de l’innommable), ces « vampires » qui décrivent l’homme comme le prédateur ultime aurait bien besoin de faire un tour chez quelques auteurs femmes, justement. Je leur conseille les Infortunes de la Belle au Bois Dormant d’Anne Rice, ou un Poppy Z. Brite. Ils seraient surpris… et probablement très choqués, retournant s’enfermer à double tour dans leur cercueil. C’est peut-être ça, en fait, la fameuse « différence de nature » dont on nous rabat les oreilles tout le long du bouquin. Le manque d’imagination de certains « prédateurs » autoproclamés.

Diamants (Vincent Tassy)

La couverture, magnifique et fort à propos : l’Ange déchu d’Alexandre Cabanel.

Dans un royaume pâle où la magie disparaît peu à peu, un ange descend parmi les Hommes. Aussi beau qu’hiératique, il représente un mystère vivant. Qui est-il ? Qu’est-il venu faire ? Alors que les manciens et les archivistes cherchent une réponse, certains décident d’agir. Le jeune Mauront, un jardinier dont les compositions florales relèvent de la féérie, se présente au concours pour devenir le Laquais de celui qu’on appelle l’Or Ailé. Le conseiller Dolbreuse, l’un des rares à avoir conservé une parcelle de magie, doit remplacer une reine que la perte de son amour a vidée de toute envie de gouverner. Mais trois rois mages des pays voisins se présentent à la Cour… leur visite annoncerait-elle le crépuscule du royaume ?

Diamants est le deuxième livre de Vincent Tassy que je lis. Ce jeune auteur présente un univers particulier et d’une grande beauté, une nouvelle voix dans le paysage des littératures de l’Imaginaire en Hexagone, entre fantasy et esthétique gothique.

Encore une fois, cet opus se montre très inventif et soigné au niveau de la forme, avec une langue très travaillée, un rythme poétique, des métaphores et des images bien trouvées. Le travail sur les couleurs, la lumière et l’ombre (le noir est envisagé comme la radiance absolue), mais aussi les champs lexicaux récurrents, comme celui des volatiles (un regard de poule, une transparence de cygne…) témoignent de l’originalité et de la qualité de l’écriture. Bien entendu, à l’instar de tout texte, celui-ci n’est pas exempt de petites paresses de-ci de-là, des répétitions notamment. Mais elles sont très rares, et étonnent au vu du niveau de langue déployé par l’auteur, à tel point qu’ils ne paraissent pas être un défaut, mais plutôt un style, qui m’a rappelé celui de Tanith Lee. Les quelques facilités dans l’exposition du cadre complexe de l’intrigue (le coup du miroir, bien connu des jeunes romanciers) sont sublimées et apparaissent comme le parti pris narratif d’un auteur qui maîtrise son art.

L’univers est aussi inventif que le reste, tout en faisant écho à des mythes lointains et bien connus (là encore, comme chez Tanith Lee). L’histoire se déroule dans un royaume où les questions de genre ne se posent pas : les hommes et les femmes peuvent avoir exactement les mêmes métiers, le futur époux de la reine est « choisi » par la reine mère comme le serait une concubine, et l’homosexualité, très répandue dans l’intrigue (il y a plus de couples gay qu’hétéros), n’est pas un sujet d’étonnement. En choisissant de mettre en scène ces caractéristiques culturelles sans chercher à les définir ou les expliquer, l’auteur fait preuve d’un vrai naturel dans son traitement du genre.

Sacha Love apprécie les belles couvertures qui le mettent en valeur !

Vincent Tassy a réussi, au fil de son œuvre, à créer un univers singulier et original : on reconnaît à la fois sa patte et ses influences. Ses romans sont émaillés de références à la culture gothique, imaginaire et mythique : dans le choix des noms de lieux et de personnages, notamment (Théodora Siddal, qui rappellera la rousse évanescente qui fut la muse des préraphaelites et des poètes ésotéristes victoriens). Le choix de noms classiques et angéliques donnent un parfum de conte au récit et certaines sous-intrigues évoquent le Cabinet des Fées. Le rythme, les ellipses nombreuses, le refus de l’auteur de rentrer dans des considérations techniques ou logiques (jusque dans les problèmes relationnels des personnages) contribuent à renforcer cet aspect de conte de fées, hors de la réalité. Le monde qu’il nous dépeint ici est onirique, plein de mélancolie, de langueur. On y retrouve certains de ses thèmes récurrents : la posture de l’artiste rêveur comme observateur détaché de la vie, qui n’y participe pas (comme dans Apostasie), une vision de la vie comme un songe décalé, un isolement choisi, avec le danger qu’il y a à s’extraire du réel pour vivre un bonheur illusoire, coupé du monde, à l’image de l’exil volontaire de l’un des personnages clés du roman. En outre, le livre est émaillé de réflexions intéressantes et profondes sur l’Histoire, l’art, la politique, qui tombent toujours à propos et ne sont jamais indigestes.

J’ai eu un peu de mal à entrer pleinement dans l’imaginaire éthéré de Vincent Tassy, mais, une fois dedans, j’ai eu de la peine à le quitter. C’est un livre qui se savoure lentement, mais qui suscite également le mystère et l’envie d’en savoir plus. Malgré sa conclusion très bien amenée, il m’a laissé sur les lèvres un goût d’inachevé. Je serais bien restée plus longtemps à Œtrange, ou dans les forêts d’Anthée… Certaines questions demeurent sans réponses. Mais il ne faut pas trop en savoir sur les anges, nous dit-on…

Terreur (Dan Simmons)

Résumé : À l’époque où l’Empire britannique dominait les mers du globe, le club très fermé de la Royal Geographical Society envoie un ultime témoignage de l’hubris anglaise sous la forme de deux bombardiers réaffectés pour affronter les glaces et ouvrir le légendaire passage du nord-ouest : le Terror et l’Erebus. C’est la tristement célèbre expédition Franklin, restée dans les annales de l’histoire arctique pour avoir disparu corps et biens… avec ses 128 membres d’équipage, dont on ne retrouva, près de dix plus tard, que trois cadavres au rictus gelé et une poignée d’os éparpillés. Que s’est-il passé, au large de l’île du Roi-Guillaume – dernier point connu sur la carte en 1845 ? À quelles forces terrifiantes ces hommes se sont-ils heurtés ? Les hypothèses sont nombreuses : empoisonnement dû à des conserves avariées et truffées de plomb, scorbut, mutinerie, faim et anthropophagie… Dan Simmons nous donne ici son interprétation du mythe, à la fois terrible et plausible, mais toujours très bien documentée.

Les ours me font très peur. Surtout les blancs. Pas vous ? Un animal pouvant mesurer plus de trois mètres et peser presque une tonne, habitué à attaquer sans prévenir, et qui, d’après les éthologues, aurait une prédilection pour la chair humaine… l’ours polaire est, en plus, l’un des rares animaux qui ne craignent pas du tout l’Homme. Les autorités canadiennes conseillent à ceux de leurs ressortissants amenés à partager un bout de territoire avec ce super-prédateur de sortir armés, préférentiellement d’un gros calibre. Et même là, si vous lui tournez le dos, c’est foutu. À noter que la bestiole est loin d’être bête, et qu’elle a l’habitude de dissimuler son museau noir avec ses pattes lorsqu’elle chasse… pourquoi, me demandez-vous ? Mais pour mieux vous surprendre dans la neige blanche, pardi ! Bref, c’est une sale bête, qui a déjà joué le rôle du méchant dans de nombreux scénarii.

Alors, imaginez un esprit maléfique et invincible déguisé en ours blanc… depuis le Gritche, Dan Simmons ne nous avait pas autant traumatisés avec un monstre. Celui qui apparaît dans Terreur mérite de figurer sur le podium des plus effrayantes créatures de l’auteur ! Au passage, oubliez sa version télévisée, bien moins virulente que l’original : cela vaut mieux (je conseille vivement la série d’AMC pour son ambiance et ses acteurs, tous excellents. En revanche, regardez la aprèsavoir lu le livre).

Mais comme toujours avec Dan Simmons, les pires monstres ne sont pas toujours les plus évidents. L’auteur éprouve la formule qu’il réutilisera plus tard dans l’Abominable (2013), où le monstre fait office de métaphore pour figurer la bestialité humaine. Finalement, ce croquemitaine qu’on nous agite sous le nez tout au long de l’histoire (et qui arbore un beau tableau de chasse ! ) incarne une force inexorable et presque noble, comparée à l’égoïsme, la mégalomanie, la lâcheté, la duplicité et la folie qui saisit les hommes en situation de survie. En tant que personnification du blanc glacial de l’Arctique, de sa cruauté et de son caractère impitoyable, la créature que ces marins en perdition affrontent sur la banquise paraît belle et fascinante. En revanche, le sentiment que nous laisse la grande majorité des protagonistes humains une fois le livre refermé est l’écœurement. Le chemin de croix qu’ils subiront et la lutte pour la survie serviront de révélateur à leur mesquinerie : l’auteur nous brosse un portrait sans concession de l’humanité. Naïveté, manque de prévoyance, étroitesse d’esprit, orgueil et suffisance d’officiers qui se prennent pour les maîtres du monde et pensent bêtement que leurs titres de noblesse les exemptent du sort commun ; bassesse et la lâcheté de l’équipage… tous les éléments sont réunis pour nous conduire à une catastrophe qu’on sait inévitable. Quelques personnages sortent du lot, de par leur intelligence, leur humanité ou leur héroïsme, mais ils se comptent sur les doigts d’une main. Au milieu de ce panier de crabes, les Inuits et leur culture font office d’îlot de poésie salvatrice, comme une terre promise qui n’arrive jamais, puisque les marins anglais refuseront leur aide d’une manière pour le moins radicale.

Si vous aimez les ambiances glaciales et macabres, le souffle impitoyable du vent du Nord, si les mises à mort par animal sanguinaire interposé et le chamanisme cruel du Concile de Pierre de Grangé vous avait fasciné, si les histoires de navire fantôme, d’expédition en débâcle, de survie en milieu très hostile, le cannibalisme et autres amputations vous transcendent, ne cherchez plus, vous avez trouvé votre nouveau livre de chevet ! Ce bouquin est au survival tragique ce qu’Hypérion était au space-opéra : un chef-d’œuvre.

Les Fils des Ténèbres (Dan Simmons)

Résumé : Le docteur Kate Neuman adopte un enfant atteint d’une mystérieuse maladie dans un orphelinat en Roumanie, peu de temps après la chute de Ceausescu. Dès lors, elle est entrainée dans les sombres rouages de complots séculaires entre des factions aux intérêts divergents : police d’état corrompue, religieux investis d’une mission, un mystérieux « ordre du dragon » et surtout la maléfique et toute puissante « Famille »…

Roumanie, adoption d’un enfant sans nom, maladie du sang, complot international… pour un aficionado de créatures aux dents longues, le quatrième de couverture suscite une vague impression de déjà-vu. Et pour cause ! Le prototype de ce roman était déjà présent dans l’excellente anthologie Dernières nouvelles de Dracula, parue en 1991 chez le même éditeur (Pocket). Cette nouvelle sur des milliers d’orphelins roumains qu’on nourrit de transfusions de sang avec une seringue réutilisable m’avait fait forte impression à l’époque, même si j’avais eu du mal à voir le rapport avec le prince de la nuit. Dans Les Fils des Ténèbres, l’essai est transformé : si, pendant toute la première partie, on reste dans l’univers post-soviétique de la nouvelle, particulièrement sombre et sordide, la seconde nous fait plonger à pieds joints dans une action vampirique digne de 30 jours de nuit.

Comme toujours avec Simmons, on passe aisément (et rapidement) d’un registre à l’autre. En nous faisant voyager entre thriller médical, roman d’espionnage sur fond de chute du bloc de l’Est, biopic historique et horreur pure, l’auteur nous embarque sur des montagnes russes. Côté rebondissements, vous ne serez pas déçus ! Tous les livres de Simmons sont calibrés pour être de vrais page-turner. Et comme les autres, celui-ci est savamment arrosé de détails gore, cruels et horrifiques, et même assaisonné de quelques pages érotiques, vampirisme oblige. On sent une petite vibe Stephen King par moments, même si, à mon avis, ce roman est bien moins bon que l’extraordinaire Salem.

Bref, tous les ingrédients étaient présents pour faire entrer ce bouquin dans mon top ten.

Pourtant, la magie n’a pas opéré. La sauce n’a pas pris, la mayonnaise n’est pas montée. C’est peut-être dû aux péripéties trop nombreuses et incroyables pour ce cadre à vocation réaliste. Ou à l’action au détriment de la description. Aux personnages plats et sans reliefs. Aux clichés un peu trop nombreux (sur les Tziganes et les Roumains, notamment). À une intrigue qu’on nous ressert sans cesse… avec plus ou moins de brio. L’ambiance « pays de l’Est corrompu » est très bien rendue, mais pas l’atmosphère fantastique. Le souci maniaque de Simmons pour nous exposer sur une dizaine de pages les subtilités de l’hématologie ou l’histoire de la Roumanie soviétique nuit vraiment à l’immersion. Et rien ne tue plus efficacement un vampire qu’une rationalisation à outrance !

À réserver aux véritables mordus de littérature vampirique, ou, au contraire, à ceux qui n’ont jamais rien lu sur Dracula ! Quant à ceux qui veulent découvrir Dan Simmons, rabattez-vous plutôt sur Hypérion.