Oh, Lenny (Aurélien Maury)

Gros coup de cœur pour cette BD, qui m’a fait passer du rire aux larmes !

June, une jeune véto végétarienne au grand cœur, toujours prompte à ramasser les bestioles les plus improbables (et aussi bien fascinée par les plus monstrueuses, il faut le dire), trouve un « truc » malade et tout tremblotant dans un tunnel d’évacuation. Le truc en question est une bestiole entre la raie, le requin, Stitch et le bébé de Ripley dans Alien 4 (« Ripley, il vous prend pour sa mère ! »), autant pour l’apparence que pour le caractère. Moi, j’ai évidemment craqué dessus, comme June, et j’ai l’impression que c’est un peu l’effet que voulait donner l’auteur avec ce petit monstre kawa-kowai (= mignon ET effrayant). Il devient dépendant de June, comme un nouveau-né, et plus si affinités… Mais c’est sans compter sur Brad, le mec horriblement normal de June et un poil dirigiste (allergique aux chats en plus !) qui ne voit pas ce que le petit Lenny a de fascinant. Ce qu’il voit, en revanche, c’est sa dégaine de poisson des abysses, son appétit pour le sang… et qu’il lui vole l’attention de sa femme. Rapidement, la situation s’envenime, et June doit faire un choix. Il sera radical, comme cette BD faussement légère, au ton à la fois étrange et comique (mention humour noir). Il y en a qui ont interprété la relation Lenny-June comme une métaphore de l’emprise (et il y a clairement quelque chose de « vampirique » entre eux), mais pour moi, ce thème cache des choses bien plus profondes. Et si emprise il y a, c’est plutôt Brad qui en est l’auteur (avec toutes ses bonnes intentions) et Lenny, plutôt un dérivatif… qui, en quelque sortes, catalyserait toutes les peurs, les colères et les envies inavouables de June. Et lui permet, enfin, d’être elle-même, quitte à y laisser sa peau…

On sent dans le dessin une grande tendresse de l’auteur pour tous les personnages, et selon la façon dont on regarde cette histoire, on peut trouver des raisons à tous. Moi, j’ai clairement sympathisé pour June, dont l’histoire a éveillé des échos en moi.

Par contre ! Gros TW pour les gens un peu sensibles au bien-être animal (dont je fais partie). Je suis capable d’encaisser beaucoup de choses en fiction, mais la souffrance/maltraitance animale, j’ai du mal. Et même si le propos ici est de la dénoncer (le lecteur sympathise forcément avec June et ses combats, même extrêmes), elle est présente dès le début. Il y a d’ailleurs deux scènes qui annoncent bien la couleur : une pieuvre qui dévore un petit crabe tout mignon, et un client au cabinet qui vient demander à ce qu’on dégriffe son chat (une mutilation qui reste autorisée aux États-Unis, et qui est pratiquée par les vétos). Le dégriffage n’est pas montré (June envoie le client sur les roses). Il y a aussi la mort d’un bulldog accidenté (non montrée), d’un autre chien, d’un cerf, d’un renard… C’est un peu l’hécatombe. Et qu’on ne s’y trompe pas : même si Aurélien Maury est un adepte de la ligne claire à la Tintin, cela n’enlève rien à la violence des situations.

Le rêve de la femme du pêcheur (en fait, « Une plongeuse et des poulpes ») de Hokusai

Alors oui, j’ai beaucoup ri en lisant cette BD, mais je vous avoue que j’ai aussi pas mal pleuré. Cette fin… Côté graphique, il y a des scènes qui m’ont fait penser à Akira de Otomo (le rêve de June, un peu inspiré aussi de celui de la femme du pêcheur, de Hokusai – la scène du poulpe géant en intro y fait aussi clairement référence). Pour le propos, cette BD m’a rappelé Jamais avant le coucher du soleil de Johanna Sinisalo, cette histoire de photographe finlandais qui découvre un bébé troll dans une poubelle, en tombe amoureux lorsqu’il grandit et part vivre dans la forêt primale avec lui, loin de la mesquinerie du monde humain. Cette BD est donc une ode à l’appel de la forêt (couplée à la mer, ici), à sa beauté et ses dangers, mais aussi un petit clin d’œil au « continent inconnu » que représente le désir secret des femmes, leur rapport mystérieux aux animaux, au sauvage, au sang et à la maternité. Toutes ces choses qui déroutent les hommes (ici, représentés par Brad)… et en fascinent quelques-uns !

Le Roi des fauves (Aurélie Wellenstein)

Cela faisait un moment que ce bouquin m’interpellait, avec sa couverture sombre et sauvage. Une histoire de créatures mi-humaines mi-animales, de sorcellerie runique, dans une obscure forêt de Scandinavie ? Tout à fait ma came ! Et pourtant, je ne sais pas pourquoi, je n’arrivais pas à me décider à le lire. Sûrement l’estampillage YA qui me rebutait. C’est maintenant chose faite… et, devinez quoi ? Je l’ai beaucoup aimé, et dévoré en 2 jours !

La première qualité de ce roman, c’est sa faculté à nous tenir en haleine du début jusqu’à la fin. La seconde, c’est son univers sombre, poisseux, glauque et cruel. L’ambiance humide et glaciale, animale et presque désespérée de ce roman m’a tout de suite séduit. J’ai été happée, inquiète pour ce jeune homme qui lutte de toutes ses forces contre un destin injuste et des pouvoirs trop grands pour lui. Je me suis même inquiétée pour ses amis, qui sont tout pour lui, et auxquels on s’attache malgré la lâcheté de l’un et le caractère détestable de l’autre (ok, elle a ses raisons, mais j’ai vraiment eu du mal avec ce personnage féminin). Les personnages sont bien caractérisés et le protagoniste narrateur est particulièrement sympathique, courageux, bon, loyal et droit au milieu de cet horrible fosse aux lions : un mélange de Sam Gamegie et de Gerald de Riv qui ne flanche jamais, en dépit de tous les coups qu’il prend.

L’ambiance, très dark et gore, qui m’a fait penser aux premiers Thorgal pour la cruauté des persos (le petit Jarl : j’ai rarement autant haï un gamin depuis Björn !), au film Le Rituel pour la forêt nordique étouffante et la magie noire viking, à Annihilation, aussi, pour la zone réservée et les hybridations contre nature. On y retrouve un peu de Games of Thrones (au-delà du Mur) et du Witcher. J’ai adoré l’univers, et trouvé dommage de ne pas l’explorer plus !

Cette lecture n’est pas un coup de cœur (trop YA pour ça), mais c’est passé près, et elle m’a donné envie de découvrir les autres romans de cette autrice, qui, jusqu’ici, ne me tentaient pas du tout.

Les étoiles sont légion (Kameron Hurley)

En voilà un livre déroutant… et même dégoûtant, par moments. Mais qui comporte quelques idées très intéressantes. Enfin, c’est le premier livre de SF que je lis dont les hommes sont complètement absents ! Pas disparus, ni regrettés, ni détestés : non, ils n’existent tout simplement pas.

Dans ce roman, on suit deux personnages femelles qui n’ont d’humain que le fait d’avoir 2 bras et 2 jambes, des yeux et des sentiments. Et encore, on n’en est pas sûrs. En incipit, le livre est dédié par l’auteur « à toutes les femmes brutales » : c’est donc de cela qu’il s’agit, de femmes brutales qui s’affrontent sur des vaisseaux-mondes immenses et organiques flottant dans le néant de l’espace, dirigées par une « seigneure » qui les envoie au casse-pipe contre d’autres ruches ou au « recyclage » comme une reine des fourmis toute puissante. L’une de ces soldates se réveille, amnésique, à la suite d’une opération d’invasion qui a mal tourné (tout le monde est mort, sauf elle). On lui dit qu’elle va devoir repartir, sans se poser des questions, et tout faire pour revenir. On lui parle de « monde » à voler, d’enfant à naître, de vaisseau à soigner, de bras métallique, de trahison, d’amour… et surtout, d’une mystérieuse « Mokshi » qu’il faut à la fois conquérir et sauver. C’est le but de tous ces affrontements entre ruches : s’emparer de cette fameuse Mokshi.

Honnêtement,  à ce stade, on ne comprend rien. C’est quoi la Mokshi, pourquoi est-ce si important, où se trouvent ces femmes si étranges, que sont-elles, à quoi ressemblent-elles vraiment ? Dans cet univers, tout est nouveau à première vue, et il faut accepter d’être aussi perdu que Zan, la générale amnésique. Au début, j’ai eu un peu de mal, je l’avoue. Où nous emmène-t-on ? Même les narratrices (une qui a perdu la mémoire, et l’autre qui veut tout nous dissimuler) n’ont pas les mots pour décrire ce qu’elles voient : des murs mous qui « pulsent », « d’étranges animaux qui servent de véhicule », des « tubes bizarres »…

Mais, au fil des pages, on s’habitue à cet univers gluant et palpitant, et on comprend ce qu’il est. Les enjeux, et l’intérêt à suivre ces opérations sans cesse renouvelées, aussi, apparaissent. Car ce monde organique qui sert à la fois de nid, de maison, de ressource et de famille (au sens littéral…) est malade, et la survie de ces femmes dépend de la sienne. Les informations sont délivrées au compte-goutte, et parfois de manière erratique, mais à la fin, tout fait sens (je me suis amusée à relire le début après avoir terminé le roman, et ça m’a paru évident). Cela vaut le coup de s’accrocher, car une fois les choses bien en place (fin de la première partie), l’action démarre enfin et il devient difficile de lâcher. Toute la quête de Zan dans les entrailles du vaisseau Katazyrna est vraiment passionnante. Un peu dégueu, mais passionnante !

C’est un roman que je peux comparer à La porteuse de mort de Stark Holborn (ce qui me fait dire qu’il y a toute une vague de SF comme ça qui arrive), à plus d’un titre : les secrets sur la protagoniste dont l’identité réelle n’est révélée qu’à la toute fin, le côté crade, gore et violent (ici, d’une manière viscérale), la volonté de mettre en scène des femmes fortes dans toute leur complexité (mères, guerrières, et amantes) qui luttent, s’affrontent, s’aiment et s’entraident sans les hommes (qui n’existent pas — ou plus — ici). 

Enfin, ce roman m’a fait penser aux mangas de Tsutomu Nihei, pour le côté quête dans des mondes complètement déroutants sur des milliards de niveaux, par un personnage amnésique et post-humain (je peux pas pousser plus loin les comparaisons pour ne pas spoiler, mais la fin de ce livre ressemble beaucoup à celle de Blame !)

Mais comme ces deux œuvres précitées, je pense que ce roman est tout sauf un livre consensuel, qui peut plaire à tout le monde. Pourtant, il n’est pas à proprement parler exigeant : pas de concept ou de terme compliqué, une écriture simple, accessible, directe, qui colle bien au style des personnages. Attention tout de même aux gens sensibles au body-horror ou allergiques aux histoires d’accouchement, de saignements et d’utérus, parce qu’il y en a pas mal… Je verrais bien cette histoire adaptée en BD. Ça pourrait donner quelque chose de vraiment impressionnant !

Si vous cherchez de la SF originale, qui ne ressemble à (presque) rien d’autre, et surtout un roman qui a vraiment dépassé le concept du space-opera pour papa, allez-y. Pour ma part, je vais regarder de près les autres romans de cette autrice ! À commencer par son essai The Geek Feminist Revolution, publié en 2016 (et non traduit).

Encore une fois, merci à Albin Michel Imaginaire de nous apporter ces romans-là, et merci pour ce SP déroutant !

La Porteuse de mort (Stark Holborn)

Si ce n’est pas un coup de cœur comme le dernier SP Albin Michel Imaginaire que j’ai chroniqué (Une cosmogonie de monstres), j’ai beaucoup apprécié ce roman qui tient en haleine jusqu’à la fin, et propose quelques beaux morceaux de space-western dans un casting presque 100% féminin ou agenre. Vous avez aimé Gideon la Neuvième, le personnage de Sofia Boutella dans Rebel Moon (😍), Furiosa dans Mad Max ou encore The Mandalorian ? Vous voulez autant de désert que dans Dune, mais moins de phallocratie, dans un monde où le genre n’est plus un sujet ? Alors, vous allez adorer ce roman !

L’histoire prend place sur les vestiges d’une guerre qui a déchiré les colonies humaines. Les personnages ont tous, de bon ou mal gré, pris part à ce terrible conflit, et il les a marqué à vie, à la fois mentalement et physiquement (tous les conscrits portent sur leur tempe la marque de l’une des deux factions). La mythologie autour d’héroïques et sanglantes batailles, comme celle de Kin ou de Tamane, évoquées ci et là dans le roman (où beaucoup de gens sont d’anciens militaires) donne un ton post-apo/grimdark : on est dans un monde détruit, où il s’est passé d’horribles choses, et dans lequel les gens n’arrivent pas à refermer les cicatrices de la guerre.  Tout le roman s’articule autour de la dynamique entre les anciens ennemis, personnifiés par deux terribles criminelles génocidaires recherchées par toute la galaxie, qui vont devoir enterrer les vieilles querelles et s’allier pour survivre. La question est de savoir si elles parviendront à se pardonner l’une à l’autre, et surtout, à elles-mêmes !

Mais plus qu’une énième variation SF sur les effets dévastateurs de la guerre, ce roman est surtout un superbe space-western à l’écriture très visuelle, 100% féminin et qui fait pas mal penser, dans l’ambiance crade et survoltée, à Mad Max – Fury Road ou même, à un genre de Thelma et Louise version SF. Il y a bien un homme qui vient s’immiscer dans cette épopée pleine de poussière, de fureur et de sororité, mais il a le rôle d’un figurant. Tous les personnages importants sont des femmes, que ce soit l’héroïne, l’ancienne taularde Dix Low, la « Générale » Gabriella Ortiz qu’elle ramasse dans le désert et escorte, son alliée la chef de bande Maladie Falco et ses « G’hals » ou encore la mystérieuse Ma Esterházy. Des femmes qui vont dépasser leurs différends pour s’entraider, jusqu’au bout. Je trouve ça d’autant plus rafraichissant que la SF, et notamment le space-opera, continue d’être un genre majoritairement écrit par des mecs, pour des mecs, où les femmes sont souvent inexistantes et/ou caricaturales. Ce qui est intéressant ici, ce sont les relations que ces femmes entretiennent entre elles, très variées : haine, peur, amour, respect… Et tout cela sans besoin d’un homme qui vienne s’immiscer entre elles. Elles sont aussi décrites dans toutes leurs facettes, y compris les pires : parfois lâches, cruelles, sales, laides, vieilles, malades ou blessées, elles peuvent aussi faire preuve d’humanité, de sensibilité, de courage et d’actes de bravoure. Je tire donc mon chapeau à l’éditeur qui a choisi de faire traduire ce roman en particulier : ce type de SF, à la fois brute, divertissante et féminine, mériterait d’être un peu plus mis en avant (je viens de lire le dernier Liu Cixin, qui est capable d’imaginer des modèles de société sur des échelles de temps cosmiques avec tout un tas de variables, mais chez qui, même dans le futur hyper-technologique, les femmes continuent à servir le café 🙃 – chronique vénère à venir !).

L’univers de Stark Holborn, s’il est classique, est efficace. La planète Factis, dernier bastion humain avant l’inconnu, avec ses déserts balayés par les vents, ses bars où l’on sert de l’alcool de serpent et ses ruines rouillées, a quelque chose d’envoûtant qui évoque un décor de Sergio Leone. C’est un endroit âpre, à peine civilisé, où les descendants de colons trompés, d’anciens bagnards et toutes sortes de parias peinent à survivre. C’est, notamment, le terrain de chasse des sinistres « Chercheurs », qui dépouillent de leurs organes les morts (ou ceux qu’ils estiment comme tels…), de bandes violentes, et des mystérieux « Si », des entités semi-légendaires qui jouent avec le destin des humains. Tous les mystères évoqués ne sont pas résolus dans le roman : à la fin du roman, on se dit que cet univers mériterait d’être exploré dans d’autres romans, et d’ailleurs, c’est le cas ! Il y a une suite, pas encore traduite en français, intitulée « Hel’s eigth »… On espère qu’elle sera traduite !

Merci à Albin Michel Imaginaire pour cette découverte 🙂

Une cosmologie de monstres (Shaun Hamill)

« Avec un titre pareil, il était fait pour toi », m’a gentiment moqué un pote sur Threads.

On retrouve effectivement tout ce que j’aime dans ce livre : le mystère, l’horreur, le côté page-turner, mais aussi une forme de poésie et de beauté. Et une belle histoire d’amour en prime, atypique à souhait !

Dans ce roman impossible à lâcher, on suit une famille sur plusieurs décennies. Une famille en proie à la folie, à l’injustice, aux crises économiques, à la bigoterie et surtout, aux ténèbres. Un couple et leurs enfants qui ont décidé de vivre leurs rêves, même si ça leur coûte toutes leurs ressources, y compris mentales, et qui sont prêts à payer le prix du génie par la solitude et la folie… 

Les Turner pourraient être une famille américaine comme les autres. Ils pourraient, s’ils n’étaient pas gérants d’une maison hantée, le rêve réalisé post-mortem du patriarche Harry, un rêveur inconditionnel de Lovecraft. Ou si la fille aînée n’avait pas disparu mystérieusement, si la seconde n’était pas un petit génie accouchant d’univers aussi oniriques qu’inquiétants, ou encore, si le petit dernier n’était pas visité toutes les nuits par une créature issue des pires cauchemars… Quel secret cachait leur père, mort trop tôt ? Une folie congénitale, transmise à tous ses descendants, ou une affinité mystérieuse avec les forces de l’autre-monde ? La seule personne à pouvoir le découvrir semble être le fils cadet des Turner, Noah.

– L’ambiance, celle d’un bon roman d’horreur de la grande époque, et l’univers original créé par Shaun Hamill, aussi beau qu’effrayant (avec un petit côté Stranger Things aussi !)

– l’histoire d’une famille pas comme les autres qui s’aime et se déchire sur fond d’affrontement avec les forces de l’outre-monde, ce qui m’a fait penser au magnifique Notre part de nuit de Mariana Enriquez. 

– Le fait de suivre le point de vue d’un petit garçon qui semble être le seul lucide face à la menace surnaturelle qui assiège sa famille, un peu comme dans les meilleurs Stephen King !

– La peinture de l’Amérique, des années 60 à notre époque, émaillée de nombreuses références à la pop culture et une critique acerbe des dérives intolérantes des bigots, des moralistes, du politiquement correct et des bien-pensants.

– La déclaration d’amour que fait l’auteur au genre du fantastique/horreur, un hommage à ses créateurs et à ses amateurs, artistes souvent incompris. C’est ce dernier aspect qui m’a sans doute la plus émue, avec le personnage du père, notamment, collectionneur passionné de Weird Tales, inventeur fou de maisons hantées et fan presque pathologique de Lovecraft. Les références à cet auteur qu’on invoque un peu à tort et à travers ces derniers temps ont tendance à me lasser, mais ce roman parle des œuvres du maître de Providence comme personne ! Et il s’en émancipe bien vite : ce roman n’est pas un redite des mondes lovecraftiens comme chez Bloch ou Derleth. 

Je remercie Albin Michel Imaginaire pour ce service presse : je ne comprends toujours pas comment j’ai pu passer à côté de cette gemme ! 

✨Interview d’auteurice : Sacha Morage✨

Sacha Morage et son roman qui sort le 5 mars chez Plume Blanche, La Voix de la Vengeance.

Merci d’avoir accepté de répondre à cette interview. Pour commencer, une petite question sur ton nom d’auteur : est-ce un pseudo et si oui, d’où vient-il ?

Oui c’est un pseudo, pour séparer ma vie d’autrice de ma vie privée. Il y a eu pas mal de brainstorming, avec mon copain et ma sœur qui avaient chacun un veto qu’ils ne se sont pas privé d’utiliser fréquemment haha.

Depuis quand écris-tu, et qu’est-ce qui t’as donné envie d’écrire ?

Je peux retracer mes tous premiers textes à la primaire. J’adore lire, et j’ai toujours lié la lecture et l’écriture : écrire, c’est lire différemment, vivre une histoire d’une manière similaire à la lecture, sauf qu’on a tout le contrôle créatif, et que l’on peut développer l’histoire comme on le souhaite (et c’est TROP BIEN). Ça a donc toujours été pour moi un moyen de continuer de vivre ma passion de la lecture et de voyager dans des mondes imaginaires.

D’ailleurs, dans beaucoup des histoires que j’écris, il y a souvent un élément qui répond à quelque chose que je n’aime pas lire, et dont je prends le contre-pied, ou, au contraire, quelque chose que j’aimerais lire plus souvent mais que je ne vois pas assez à mon goût ! Bref j’écris pour lire les livres que j’aimerais lire.

Pitche-nous de ton premier roman en trois ou quatre phrases…

On suit une jeune femme, qui, après avoir vu son frère mourir devant ses yeux, n’a plus que l’idée de vengeance en tête – et ce, alors que le meurtrier est inaccessible, puisqu’il fait partie d’une organisation puissante et violente au-dessus des lois. Cette obsession consume l’héroïne, « comme un poison » disait une chronique : elle se met dans des situations de plus en plus difficiles, part sur des plans de plus en plus risqués, elle ment, manipule, trahit, et oublie toute morale. Et ça dérape.

En parlant de ce premier roman, c’est un vrai succès ! Est-ce que tu t’y attendais, ou c’est la grosse surprise ?

Pas vraiment. Mon parcours de soumissions éditoriales ne laissait pas présager grand-chose : il s’est résumé en une majorité de ghostages. Les deux seuls refus personnalisés que j’ai eu la chance de recevoir parlaient d’une héroïne trop « froide » pour plaire au public. J’avais conscience que c’était un risque je prenais, et, comme tous les risques, ça peut passer, mais ça peut aussi casser. 

Je suis donc extrêmement contente que, non seulement, ce soit justement cette idée d’une anti-héroïne qui semble créer l’enthousiasme chez les gens, et qu’en plus, les retours de lecture soient très positifs à son sujet. 

La genèse de ce roman : comment as-tu eu l’idée ?

Je venais de déménager en Norvège en plein milieu de l’hiver : je voulais écrire une histoire qui se passerait dans un Archipel méditerranéen (avec un twist qui serait un spoil du roman). Puis, à l’époque, il y avait un concours d’écriture intitulé « Mille et une voix » : cela m’a donné l’idée d’une magie de la Voix, et dont les utilisateurs légaux seraient limités en nombre – mille – et numérotés. 

J’avais donc mon univers et mon contexte. À ça s’ajoutait un bouillonnement créé par des lectures récentes m’ayant marquée : des personnages principaux dont j’avais adoré l’aspect obsessionnel (Rin dans Poppy War, Tau dans Rage of the Dragons), ou, à l’inverse, des héroïnes vendues comme « morally gray » qui se révélaient gentilles et finalement moralement droites, à ma grande déception. J’avais aussi lu une saga géniale en ligne, Worm de Wildbow, avec une anti-héroïne dont je n’avais absolument pas vu l’aspect « morally gray », tellement j’étais derrière elle. Réaliser cet écart entre mon expérience de lecture et la réalité de personnage a été une belle leçon de storytelling. Je voulais donc jouer avec ça : un personnage mauvais, sans empathie, qui prend les autres pour des pions, mais que j’essaierais de rendre si proche du lecteur que ce dernier pourrait valider l’intégralité de ce qu’elle ferait, en oubliant son propre code moral. C’était mon défi.

Enfin, mes romans précédents m’avaient posé des soucis de construction car j’ai trop tendance à m’éparpiller : il me fallait une intrigue simple, qui ne volerait pas la vedette à mon anti-héroïne. La vengeance me semblait cocher toutes les cases : c’est simple, linéaire, le climax est sous-entendu dès la première ligne, et cela pose déjà de multiples questions morales.

Le parcours édito : tu as remporté le concours des Murmures Littéraires et ils ont soumis ton manuscrit à Plume Blanche, partenaire du concours, c’est ça ?

Oui ! Sans les Murmures Littéraires, je n’aurais pas été publiée en maison d’édition, je pense, et je leur en suis très reconnaissante. Plume Blanche avait d’ailleurs refusé mon manuscrit quelques mois plus tôt. Mais la maison d’édition était partenaire du concours des Murmures, et l’éditrice a accepté de réétudier mon manuscrit lorsque l’équipe de coordination du concours lui a envoyé mon roman lauréat.

Je t’ai rencontrée au speed-editing des Imaginales (édition 2022). Est-ce que tu veux bien revenir sur cette expérience ? Comment ça s’est passé pour toi ?

J’ai participé aux speed-editing des Imaginales en 2021. Je rejoins entièrement ton post sur le sujet, avec lequel je suis 100% d’accord. C’est une expérience extrêmement intéressante pour comprendre comment le milieu de l’édition SFFF fonctionne, pour toucher cette industrie du doigt. Par contre, comme canal de publication, ce n’est pas tellement plus fertile qu’une soumission par email. 

Je te connais également du forum Jeunes Écrivains. En quoi ce forum a-t-il pu te renseigner sur le milieu de l’édition, les pièges à éviter, etc. ?

Je recommande à tous les aspirants à l’édition traditionnelle de s’inscrire sur un forum tel que Jeunes Écrivains. J’ai beaucoup appris en suivant les itinéraires éditoriaux des membres. C’est rassurant de pouvoir retrouver des expériences similaires aux nôtres, de pouvoir échanger sur nos frustrations, mais aussi de lire des success stories qui montrent que c’est possible, et qui permettent de voir ce qui fonctionne ou pas. Cela permet de perdre rapidement ses illusions et sa naïveté, et d’approcher ce milieu d’une manière plus rationnelle et stratégique. 

D’ailleurs, c’est sur ce forum que j’ai appris l’existence des Murmures Littéraires. On peut donc dire que je n’aurais pas été publiée, littéralement, sans Jeunes Écrivains. Et puis, j’ai rencontré de merveilleuses personnes, ce qui est un bonus non négligeable ❤

Tu sembles mener ta communication sur les RS d’une main de maître. Un petit conseil à nous donner ?

Ça me fait vraiment plaisir quand on me dit ça, surtout que c’est un investissement en temps conséquent – et qu’il est difficile de savoir quelle est l’image que l’on renvoi de l’extérieur. 

Je pourrais écrire des dizaines de milliers de mots sur les RS, mais je vais rester brève. 

J’aborde déjà les réseaux avec l’idée que ce sont des espaces sociaux, où l’on interagit avec des gens. De manière crue, je suis là pour me faire des amis (et je m’en suis fait !). Je pense qu’avoir cette approche « humaine » permet de plus facilement être « vrai », authentique, et ne pas ressembler à un bot marketing. 

Après, ce serait mentir que de dire que c’est suffisant… nous sommes sur des plateformes tierces régies par des algorithmes. Il faut donc aussi comprendre leur fonctionnement pour créer du contenu qui correspond non seulement à ces règles techniques, mais aussi à ce que les gens aiment consommer sur ces plateformes. 

J’adore les chiffres et les analyses : j’essaie toujours de comprendre pourquoi mon contenu marche ou floppe. Je ne pense pas qu’il faille le prendre personnellement lorsqu’une publication ne fonctionne pas : ce n’est jamais un jugement de valeur sur notre personne, mais uniquement sur un contenu précis et sa forme. Le rôle des algorithmes est de s’assurer que les utilisateurs restent le plus longtemps possible sur la plateforme. Ils vont donc pousser le contenu qui fait rester les utilisateurs, et enterrer le reste. Après, comment l’algorithme classifie un contenu comme efficace ou non, ça va dépendre de la plateforme, et ça va être plus ou moins pertinent haha. De même, les gens ont des habitudes de consommation différentes sur l’un ou l’autre des réseaux, habitudes qui évoluent aussi dans le temps. J’essaie donc de comprendre le fonctionnement des réseaux, les attentes, d’analyser ce qui fonctionne ou pas pour m’améliorer, et, surtout, pour proposer un contenu que les gens vont aimer consommer. Ici encore, à la fin, le facteur le plus important, ce sont les gens. Si une publication ne fonctionne pas, au fond, c’est qu’elle n’a pas intéressé les gens. J’essaie toujours de penser à eux, de ne pas leur faire perdre leur temps, de me mettre à leur place. Parfois ça marche, parfois ça marche pas : c’est pas grave, le but est juste d’essayer de toujours s’améliorer.

Aussi, personnellement, je ne me compare pas aux autres comptes. Je compare mes publications entre elles (« pourquoi celle-ci a fait plus que celle-là ? est-ce que c’est le thème ? la forme ? qu’est-ce que les gens ont préféré ? pourquoi celle-ci n’a pas fonctionné ? ») mais jamais avec celles des autres. D’abord car c’est le meilleur moyen de se sentir inadéquat, mais aussi car ce n’est pas toujours utile : les gros comptes fonctionnent différemment des petits comptes, et entre comptes de la même taille, il vaut mieux avoir sa propre voix que de chercher à se positionner similairement à d’autres. 

Enfin, je terminerais par dire qu’il vaut mieux s’installer sur des plateformes que l’on aime soi-même en tant qu’utilisateur. Par exemple, je ne vais jamais sur Youtube, donc je ne me lancerai pas sur Booktube, car je ne connais pas du tout ce milieu. À l’inverse, j’adore consommer Booktok. C’est donc aussi là que je me sens le plus à l’aise. 

Enfin, de manière très pragmatique, pour Instagram, je recommande fortement un abonnement Canva pro, et la lecture de The Non Designer’s Design Book (https://www.amazon.fr/Williams-Non-Designers-Revised-Nov-2014-Paperback/dp/B01DHEY4HK), extrêmement utile pour expliquer de manière très concrète les règles « bêtes » du design, ce qu’il faut faire ou ne pas faire en graphisme. C’est impressionnant comment suivre très bêtement ces règles, même si on ne les comprend pas tout de suite, a un effet immédiat sur l’esthétisme de nos productions graphiques. 

As-tu déjà eu recours à des bêta-lecteurs ?

Oui, très souvent, que ce soit pour mon roman ou mes nouvelles ! La Voix, mon roman, a eu le droit à plusieurs vagues de bêta-lecture. Suite à la première vague, j’ai fait une grosse réécriture structurelle, qui a énormément amélioré le roman. La deuxième vague de bêta-lecture était d’ailleurs bien plus positive et enthousiaste, et les corrections ensuite étaient plus à la marge. 

C’est pour moi extrêmement important d’avoir des retours extérieurs qui permettent de comprendre comment le roman est reçu, si les effets que l’on a cherché à produire fonctionnent ou pas, et d’identifier comment maximiser encore l’impact de l’histoire.

Tu as également publié des nouvelles. Où et comment ? Peux-tu nous en dire plus ?

J’ai publié plusieurs nouvelles, chez Etherval, un magazine tenu par une association bénévole, deux chez AOC, dans le cadre de leur concours annuel Vision du futur, et une autre dans l’anthologie Inventions et Jeux de pouvoir d’Oneiroi.

J’aime beaucoup le format court, et participer à des appels à textes fut à la fois très bénéfique pour développer certaines de mes compétences d’écriture, comme apprendre à dire beaucoup en peu de mots, mais aussi pour découvrir le monde de l’édition : ce furent mes premiers refus, mes premiers contrats, mes premières corrections éditoriales, mes premiers salons… je recommande fortement l’expérience aux aspirants à l’édition traditionnelle.

Un roman qui t’a marqué cette année, et pourquoi ?

Très difficile d’en choisir un… j’en ai adoré plusieurs en SFFF, que ce soit Engélion tome 2, EmblèmesFleurs d’Oko… j’aime tous les romans qui me font voyager, avec des personnages complexes et émouvants. 

Pour éviter de devoir choisir, je partirais sur un classique hors imaginaire : Rebecca de Daphné du Maurier. J’ai été frappée comme je l’ai rarement été par la richesse du texte et ses différents niveaux de lecture. À quel point, en surface, c’est une romance avec une vision conservatrice de la femme, mais, lorsqu’on creuse, il y a une lecture opposée, féministe, une tragédie et une vengeance en même temps, qui montre le personnage masculin principal dans tout son pathétique, et met en lumière l’étouffement de la femme. Et ces deux lectures se répondent, s’opposent, se contredisent, se nourrissent, en reflet peut-être des propres interrogations de l’autrice. 

Quand une lecture comme ça me frappe, me fait réfléchir, me fait toucher à un aspect de la nature humaine dans toute sa complexité et ses errements et ses ténèbres… c’est tout ce que je recherche et que j’aime dans la littérature. 

Quel sera ton prochain projet ? 

Une dark academia (à ma sauce !) où une jeune étudiante trouve un tarot maléfique, l’utilise de plus en plus, pour un coût qui ne fait que grandir, et sans réaliser qu’elle se fait manipuler…

Pour finir, comment vois-tu tes projets et ta carrière évoluer en 2024 ? As-tu des rêves d’auteure ?

Déjà je veux voir comment va se passer la sortie de mon premier roman, les rencontres avec les lecteurs en salon…. C’est déjà génial tout ça, la réalisation du rêve de la publication. Ensuite, sur le long terme, j’aimerais pouvoir en faire une carrière : publier régulièrement, trouver mon lectorat, et, un jour, en vivre. Mais bon, il va falloir être patiente !

***

Infos

Titre : La Voix de la Vengeance

Editeur : Plume Blanche

Année : 2024

Genre : fantasy

Résumé :

Vaelle a tout perdu.

Son frère d’abord, égorgé sous ses yeux. Son futur ensuite, puisqu’elle est désormais traquée par le puissant Bureau pour usage illégal de sa Voix. 

Il ne lui reste qu’une chose : la vengeance. Elle se le promet : elle tuera Yervain, le membre du Bureau responsable du meurtre de son frère. Quel qu’en soit le prix. Peu importe les conséquences. 

Son obsession pour Yervain l’entraîne de plus en plus loin, dans des sacrifices de plus en plus sanglants, et des ténèbres de plus en plus obscures. Jusqu’au point de non-retour.

Prix : 20 euros

Site éditeur : https://plumeblanche-editions.fr/boutique/livres/239-la-voix-de-la-vengeance.html

Bad Queen (Magali Lefebvre)

Disclaimer

Je me décide à poster ma chronique sur ce roman au moment où la maison d’édition, Noir d’Absinthe, annonce qu’elle ferme ses portes. Donc, si vous voulez lire ce livre et l’avoir dans son édition présente (qui deviendra collector), avec sa superbe couverture, c’est maintenant où jamais !

Un autre Noir d’Absinthe de la même autrice, que j’ai chroniqué sur ce blog : La Captive de Dunkelstadt.

Mon avis

Une belle réécriture de conte féministe, à la fin douce-amère, qui évoque un peu certaines nouvelles de Tanith Lee (qui a beaucoup réécrit ce conte, de Perce-neige à White as snow), avec le symbolisme des couleurs, le rôle des loups, de la neige, des pommes, des épées, etc. En cela, la ME a fait un très beau boulot en confiant la couverture à une illustratrice qui a tout à fait capté l’ambiance du roman, Amaryan, tout en faisant référence à la sorcière de Disney (c’est clairement celle-là qui sert de référence ici). L’idée du miroir est merveilleusement exploitée (je l’avais un peu vue venir, mais ça n’enlève en rien la façon habile dont c’est traité : c’était, d’ailleurs, l’un des éléments qui m’avait le plus intrigué dans le dessin animé). L’histoire d’amour, poignante et émouvante, entre Ciaran et Violaine est très belle. Les émotions sont bien présentes et j’avoue avoir versé ma petite larme plusieurs fois dans le roman (surtout vers la fin). 

J’avoue qu’au début, je me suis demandé où l’autrice voulait nous emmener. Le démarrage, la mise en place, sont plutôt lents, et certains choix narratifs peuvent paraître déroutants, comme les éléments — discrets cela dit — de SF qui m’ont semblé un peu déplacés dans ce décor. Pour moi, toute l’intrigue politique entre les royaumes de Rosehaÿ et Talamh Dorcha n’a présenté que peu d’intérêt et j’ai eu du mal à en venir à bout. Le roman m’a paru démarrer véritablement lorsque Violaine rencontre Ciaran, ce qui n’arrive pas avant la deuxième partie. Par ailleurs, j’ai eu du mal à saisir pourquoi l’autrice avait fait de la reine-sorcière de Blanche-Neige une guerrière venue d’un autre monde, et je me demandais quand exactement (et comment) elle allait raccrocher les wagons avec le conte original. J’ai parfois eu l’impression de lire un roman de fantasy qui n’avait rien à voir avec la réécriture de conte, ce qui est assez déroutant lorsqu’on s’attend à découvrir une redite du matériau original.

Mais en lisant les cent dernières pages, j’ai enfin compris où l’autrice voulait en venir. Toutes les péripéties de la future « bad queen », y compris la longue intrigue préalable à la romance entre Ciaran et Violaine (qui a une réelle utilité dans l’histoire), étaient nécessaires pour que certaines choses prennent tout leur poids à la fin. Donc, chapeau pour la construction, même si je pense que le roman aurait gagné à être un poil ratiboisé dans sa première partie, et, au contraire, développé vers la fin. Finalement, cette reine-sorcière que nous connaissons et attendons n’apparaît que dans les cinquante dernières pages. J’ai eu la même impression pour sa relation avec la princesse Blanche, qui, de par sa subtilité, aurait mérité un peu plus de détails et de développement.

Dans ce roman, il faut accepter que la reine-sorcière soit un personnage radicalement différent de celle qui apparaît dans Blanche-Neige. Le trait de caractère principal de cette mauvaise reine dans l’histoire originale est sa vanité, symbolisée par son recours au miroir (« Miroir, miroir, dis-moi qui est la plus belle… »). Ici, l’autrice en a fait complètement autre chose. Violaine n’est pas vaine, et l’origine de sa jalousie envers la princesse se situe autre part.

J’ai d’ailleurs trouvé cette thématique mature, intéressante et audacieuse : c’est rare que l’on évoque ce genre de thèmes en fantasy, et là encore, ce choix d’une écriture très féminine (qui se prête très bien avec le genre du conte) m’a rappelé Tanith Lee. J’aurais aimé en lire un peu plus là-dessus…

Bad Queen est sans doute un roman qui ne parlera pas à tout le monde : ce n’est pas un page-turner, et encore moins une romantasy comme c’est la mode en ce moment. En tant que réécriture de conte, il peut aussi décevoir les attentes. Mais il m’a touché, de par ce destin de femme tragique, qui exploite avec justesse la figure de la sorcière (une femme libre, indépendante et incomprise, qui s’autorise tous les sentiments, même les mauvais) et le plot-twist audacieux et novateur qu’il propose à la toute fin. Désolé pour ce manque de détails, mais c’est le type de bouquin qu’il ne faut pas spoiler ! Lisez-le, surtout si vous croyez tout savoir de Blanche-Neige : vous serez surpris.

✨Les interviews mensuelles d’auteurices : R.Oncedor✨

Pour 2024, je lance une nouveau truc sur mon Insta et mon blog : les interviews d’auteurices ! C’est un projet que j’ai en tête depuis janvier 2022, mais que j’avais pas mis en œuvre jusqu’ici… J’ai décidé de le faire sous forme écrite parce que personnellement, je déteste le format vidéo et que souvent, je zappe quand je vois que ça va en être une, même quand le sujet m’intéresse. Je suis sûre que je ne suis pas la seule à préférer l’écrit que le visuel… J’ai donc décidé d’utiliser ce format.

La première sera R. Oncedor, illustratrice animalière et auteurice auto-éditée, que j’ai découvert sur la plateforme l’Atelier des Auteurs il y a 3 ans !

Merci d’avoir accepté de répondre à cette interview. Pour commencer, peux-tu nous en dire plus sur ton pseudo, qui est bien mystérieux ? 

Merci à toi d’avoir pensé à moi, surtout ! Lorsque j’ai commencé à avoir une présence en ligne, notamment sur des forums, j’avais 13 ou 14 ans. J’ai pris pour pseudo le nom d’une de mes créatures : Cornedor. Beaucoup plus tard, quand est venu le moment de publier mes romans, j’ai eu envie de garder ce pseudo qui m’avait accompagnée si longtemps. J’en ai juste fait un anagramme pour le rendre plus adulte, et Roncedor est né ! Ça pique et ça brille, je le trouvais parfait pour ma façon d’écrire.

Depuis quand écris-tu, et qu’est-ce qui t’as donné envie d’écrire ?

J’écris depuis toute petite. J’adorais lire, notamment des contes, et j’ai eu envie d’écrire mes propres histoires. Mes parents m’ont encouragée et m’ont offert des carnets pour écrire et dessiner.

Pitche-nous ton premier roman en trois ou quatre phrases…

Dans un Moyen-Âge sombre et tourmenté par les démons, nous suivons Iluth, une succube un peu maladroite, qui va essayer de séduire un chasseur de démons. L’homme est méfiant et profondément misogyne, ce qui la force à utiliser des subterfuges pour l’approcher… Va-t-elle arriver à ses fins sans se faire tuer ? 

Photo de Par le Fer et par le feu (compte Insta de l’autrice)

… et ton dernier.

(C’est un tome 2, la galère…) C’est l’histoire de deux étudiantes qui vivent de nos jours, à Lyon, et qui du jour au lendemain se retrouvent à héberger des animaux fantastiques dans leur studio. C’est rigolo pendant un temps, malheureusement, elles se retrouvent mêlées à une histoire bien plus grave qu’elles ne le pensaient… et dans ce tome 2, les voilà parties à l’aventure dans un monde parallèle particulièrement hostile, empli de mythes et légendes.

Masques et Monstres, T1 et T2 (photo tirée du compte Insta de l’autrice)

Quel est celui que tu préfères dans tous tes romans ?

Je pense que c’est L’Ours et la Renarde. Même avec le recul, je le trouve toujours aussi maîtrisé, bien plus que mes autres romans. La réécriture a été très difficile, mais ça en valait la peine. Et il marque énormément les lecteurs-ices, il a même un réel impact sur certains (par exemple, une personne grossophobe s’est remise un peu en question grâce à ce roman…)

L’Ours et la Renarde, édition deluxe (photo tirée de mon compte Insta)

Et ton personnage préféré ?

Aaaargh c’est trop compliqué de répondre à ça ! Ils sont tous tellement différents ! Je dirais Iluth, ma petite succube. C’était un personnage jubilatoire à écrire. Contrairement à beaucoup de personnages féminins, elle est très franche et caractérielle, vulgaire, obsédée par le sexe évidemment, bref elle est extrêmement drôle (mais elle reste une meurtrière badass).  

Parlons un peu de l’univers de tes romans : ton genre de prédilection est la fantasy animalière, comme dans l’Ours et la Renarde. Qu’apprécies-tu dans ce genre ? 

En fait, l’O&R est mon seul roman de fantasy animalière (même si j’essaie toujours de donner une âme et une profondeur aux créatures non-humaines dans mes autres histoires). Dans le cadre de l’O&R, le fait d’avoir des personnages aux attributs animaliers me permettait de renforcer mon propos. En effet, les différences physiques et mentales entre les Ours et les Renardes justifient (à leurs yeux) leur racisme et leur sexisme. Je voulais aussi donner un côté « fable » à cette histoire, pour l’enrober de fantaisie et de féérie sans pour autant cacher le fond de l’histoire, qui est très dur. 

Les animaux et créatures ont souvent une place à part dans tes romans. Dans la vie, tu es également engagée pour eux, par le véganisme notamment. Est-ce que tu as un message à faire passer sur le rapport que l’Homme entretient avec les autres animaux ?

Malheureusement, je ne suis pas végane (j’aimerais bien !) mais j’essaie de m’en rapprocher. Je n’ai rien de plus à dire que ce qu’on entend souvent… les animaux nous sont très semblables, bien plus qu’on ne le pense, et ils doivent être respectés et protégés dans la mesure du possible, comme nous le ferions pour des humains. Un cochon a le QI d’un enfant de 6 à 8 ans, et pourtant on le brûle à coups de taser, on l’engraisse en le gardant vautré dans ses excréments, et on le gaze en abattoir. Pourquoi torturer et tuer des animaux à la chaîne alors qu’on pourrait s’en passer ? Vaste débat… 

Tu es aussi illustratrice et peintre animalière dans la vraie vie. Comment définis-tu ton univers graphique ? Est-ce que tu accepterais un jour de dessiner des gens ? 

Je suis très très éclectique ! Je fais en effet des dessins animaliers réalistes, mais aussi des bestiaires de fantasy, et des peintures. À la base, j’ai une formation de peintre décoratrice ! J’ai donc appris à faire des faux-marbres, des moulures, et j’ai même déjà travaillé sur des manèges et un décor de restaurant… En fait, j’improvise beaucoup. Par contre, je n’aime pas dessiner des humains, je ne ferai jamais de portraits. C’est très dur et surtout très inintéressant pour moi. Je préfère la diversité du règne animal !  

Pourquoi t’es-tu lancée dans l’AE ? Qu’y trouves-tu de mieux que l’édition traditionnelle ?

Je devais être publiée en maison d’édition (numérique), mais ça s’est mal passé avec le patron. Les auteurs n’étaient pas respectés, et j’ai fini par dire tout haut ce que tout le monde pensait tout bas. J’ai balancé mon gros pavé dans la mare et je suis partie ! Meilleure décision de ma vie. Ensuite, une autre maison d’édition a voulu publier le même roman (Par le fer et le feu), mais c’était une toute petite maison et le pourcentage qu’ils me proposaient était minuscule. En parallèle, je voyais des auteurs réussir leurs campagnes Ulule en auto-édition… Alors je me suis bien renseignée sur le sujet, puis je me suis lancée. Et je ne regrette pas du tout ! Personne n’est là pour choisir mes couvertures à ma place, choisir ma mise en page ou mon type de papier… Je suis seul maître de mes romans, et je donne mon maximum pour que chacun d’eux me ressemble vraiment. 

Je suis souvent tes campagnes ulule pour financer l’édition de tes romans et elles sont chaque fois plus réussies. Quelle est ta recette ? As-tu un conseil à donner aux auteurices qui voudraient se lancer ?

Je ne sais pas trop… Il faut surtout éviter les gros pavés de texte. Inspirez-vous des campagnes Ulule des maisons d’édition ou des gros auteurs : beaucoup d’images, bien présentées, des visuels du livre, des infos claires, nettes et précises… pas de paragraphes interminables avec votre biographie (par pitié). Et il faut avoir aussi une communauté derrière soi. Ulule peut vous amener des gens… mais seulement si la campagne rencontre déjà un petit succès.

Ta façon de travailler : tu utilises l’Atelier des Auteurs (anciennement Scribay) comme atelier pour peaufiner tes premiers jets à l’aide de quelques bêta-lecteurs triés sur le volet. Comment les as-tu rencontrés, et que peux-tu nous dire sur cette méthode ?

Tout à fait ! Je les ai « rencontrées » tout simplement sur Scribay, il y a plusieurs années, quand je suis arrivée sur la plateforme. On a commencé à lire nos romans mutuels, à se faire des retours… à échanger nos romans, en quelque sorte. Aujourd’hui, c’est toujours le cas !  

Un roman qui t’a marqué cette année, et pourquoi ?

Je ne saurais pas dire. Hélas, j’ai peu lu cette année, et je suis une lectrice un peu difficile… aucun livre lu en 2023 n’est entré dans le club très fermé de mes lectures préférées !

Pour finir, comment vois-tu tes projets et ta carrière évoluer en 2024 ? As-tu des rêves d’auteure ?

En 2024, je vais tester un nouveau fonctionnement et essayer de vendre mes livres reliés via Amazon. C’est un gros chamboulement pour moi, et je ne suis pas certaine que ça va fonctionner. Je vais tenter le coup. En parallèle, je veux mettre les bouchées doubles sur l’écriture et le dessin, car ça fait trop longtemps que je les néglige au profit de la gestion des ventes, de ma communication sur les réseaux et du reste…

Compte Insta de R. Oncedor : https://www.instagram.com/roncedor/

N’hésitez pas à la suivre !

Comment le dire à la nuit (Vincent Tassy)

Éditeur : Chat Noir

Année : 2018

Nombre de pages : 513

Genre : Vampire

Résumé : La vampire Athalie tient l’insaisissable Adriel prisonnier dans son château. Elle est la laideur et la malveillance, il est la beauté et l’innocence. Le jour où il s’échappe, tout s’écroule pour elle. Sa recherche désespérée, et son refus à lui d’en finir avec elle, va provoquer le chaos dans le destin des gens qu’ils vont heurter dans leur chassé-croisé, sur cinq siècles…

Il y a une ambiance froide dans les romans de Vincent Tassy que j’ai particulièrement ressentie ici. Comme souvent avec les romans de cet auteur, je n’arrive pas bien à savoir si j’ai adoré ou trouvé ça franchement déplaisant. Cet effet me rappelle celui que m’avait fait La Sève et le Givre de Léa Silhol la première fois que je l’avais lu : j’avais trouvé le roman long, précieux et glacial, mais une fois terminé, il m’avait tellement fasciné que j’ai eu envie de le relire encore et encore, l’appréciant chaque fois un peu plus. Au début, j’ai eu l’impression que ce roman de Tassy allait me faire le même effet. La plume, particulièrement belle ici (où elle est moins alambiquée que dans d’autres œuvres de l’auteur), n’est pas étrangère au charme suranné et légèrement aigre qui se dégage de ce bouquin, qui fait grimacer et sourire comme une prune au vinaigre.

L’histoire n’est pas passionnante, mais tient suffisamment en haleine pour qu’on ait envie de savoir la suite (avouons-le, surtout au début). Le roman nous présente toute une galerie de personnages hantés, brisés par les traumatismes, qui vont trouver une forme de rédemption ou au contraire de torture supplémentaire en croisant la route des deux vampires. Vampire : le monstre n’est jamais nommé, mais on sait qu’il est là, et ce qu’il est. C’est un vampire à la fois fascinant et répugnant, à l’image d’Athalie, la « dame en noir », dont la description au château des Lormont a quelque chose de l’horreur :

« Elle portait une robe monumentale de velours noir — son corps, où s’arrêtait-il, où commençaient les ombres ? — à manches bouffantes, basquine et vertugadin, et son visage semblait une grosse lune cérusée par-dessus cette enflure d’étoffes. Elle avait ce genre de laideur qui donne froid, qui laisse à bout de souffle : une laideur sensationnelle, fabuleuse, comme une forêt de sapins où la foudre est tombée. » (p. 126)

On suit donc le destin croisé de plusieurs personnages : un nobliau sans argent condamné à un mariage sans amour au 19° siècle (Egmont), une comtesse sadique (Athalie) qui tient sous sa coupe un mystérieux jeune homme aux cheveux blancs au 17° (Adriel), une post-ado gothique dépressive fan d’opéra (Rachel), à l’aube de rencontrer son idole (Cléopâtre), et une éditrice de romance née dans un corps de garçon (Parascève). Leurs trames de vie, qui au début semblent n’avoir aucun rapport entre elles, vont finir par se rencontrer.

Si la première partie est assez intéressante (notamment la trame d’Egmont, un personnage pathétique qui donne envie de le baffer et de le serrer dans les bras), le dernier quart est franchement lassant. Des répétitions, des personnages qui surgissent pile au bon moment comme dans un vaudeville, des ellipses, des deus ex machina un peu trop énormes… L’intérêt du lecteur s’essouffle vite, et avec, sa suspension d’incrédulité. Mais le plus grave à mon sens, c’est que les situations — et les personnages — se ressemblent toutes. La « méchante », absolument increvable, revient dix mille fois (un vrai Terminator), et j’ai longtemps confondu Rachel et Parascève (en lisant les avis sur ce roman, je me suis rendu compte d’ailleurs que je n’étais pas la seule). La révélation sur Cléopâtre m’a paru dure à avaler, et j’ai perdu tout intérêt pour ce personnage qui pourtant me paraissait le plus intrigant de la bande une fois que j’ai su qui elle était (en partie parce que je n’y croyais pas). Le personnage coréen paraît catapulté dans le roman pour cocher des cases, tout comme Shéhérazade et Montserrat, les copines « exotiques » de Parascève (au passage, Montserrat est un prénom plus catalan qu’andalou). 

La nature du mystère d’Adriel, le personnage qui provoque indirectement toutes les catastrophes décrites dans ce bouquin, est à peine effleurée, et complètement sous-exploitée. C’est d’ailleurs le reproche principal que je ferais à ce roman : on nous inflige des pages et des pages d’auto-apitoiement (les dialogues perchés et larmoyants d’Athalie, c’est drôle au début, mais moins quand c’est TOUS les protas qui se la jouent comme ça) et de situations répétitives, mais on passe très vite sur des choses très importantes (le massacre de toute une famille, la fin du monde…) et qui pourraient être intéressantes. Plusieurs fois, j’ai levé les yeux au ciel face au côté abracadabrant des situations et des réactions qu’elles suscitent. Pour moi, donc, ce Vincent Tassy n’est clairement pas une réussite, et il a, en fait, tous les défauts que l’on retrouvait, noyés sous le sublime, dans Apostasie et Diamants. Sauf que la beauté des deux derniers faisait aisément oublier ces longueurs.

Reste la langue, véritablement magnifique. Et quelques passages ciselés, des phrases qui donnent envie de les souligner, comme celle-ci : « Nous étions trop jeunes pour avoir des raisons d’être tristes, alors nous étions tristes pour rien. » (p. 138). Malheureusement, pour moi, ces aphorismes ne suffisent pas à sauver le bouquin cette fois. Il possède malgré tout le charme gothique de tous les Vincent Tassy (si je continue à le lire, il y a bien une raison !) et m’aura même donné envie de lire Barbara Cartland. C’est dire…